jeudi 24 décembre 2015

Partir quand même ?


25 Décembre 2015. Nuit de Noël.

Je suis à Berlin depuis plus de sept ans maintenant. Il est possible que j'y reste encore quinze mois, au grand maximun. Pour le moment, rien n'est dit. C'est à moi de choisir, et je ne sais pas choisir calmement. Je n'ai jamais su.

J'ai été opéré en avril 2012. Il n'y avait pas de métastases. C'était simple. Rien de plus qu'un très gros chantier. C'est presque un bon souvenir, sans exagérer. Je cicatrice facilement.

Je vois de moins en moins souvent mon oncologue. D'un rendez-vous trimestriel, nous sommes passés à deux consultations par an. C'est elle qui fixe les dates, la fréquence, en fonction de mon état. Tout en me suivant de près, elle espace nos rencontres. Elle pense que j'ai des chances « énormes » d'être guéri. Elle tient néanmoins à me surveiller pendant quinze foutus mois supplémentaires, jusqu'à avril 2017. C'est logique. On m'avait prévenu après l'intervention :

« Nous avons sorti et fouillé toutes vos tripes. Nous avons effectué des prélévements sur 26 ganglions. Les 26 prélévements sont revenus intacts. Tenez cinq ans sans faire de récidive et vous serez guéri. »

Quinze mois, dans l'absolu, ce n'est pas énorme. Mais je ne suis pas certain d'aimer quinze mois ici. A Berlin.

Je me suis beaucoup amusé à Berlin dans les années 90, juste après la chute du mur et quand j'avais une vie sexuelle trépidente. C'était une autre époque. A Berlin, aujourd'hui, je ne fais plus attention à rien. Tout m'emmerde : les musées avec leur clientèle bégueule, les connasses dans le métro avec leurs cheveux bleus ou vert. Voire violet. La quatrième variante étant : rouge. J'en ai ai vu une à cinq heures du matin, complètement camée, qui buvait sa bière dans une bouteille dont le goulot était cassé. Une autre aussi au crâne rasé avec un enfant de deux ans dans une poussette et qui portait l'inscription « Exploited » au dos de son blouson déchiré.

Une fois aussi j'ai vu un mec qui finissait sa nuit. C'était dans le S-Bahn, entre Anhalter Bahnhof et Potsdamer Platz sur la ligne 25 en direction de Hennigsdorf. Le coude sur le genou, il avait l'air aussi sage que le penseur de Rodin – et aussi sexy, d'ailleurs. Il avait la tête penchée sur le sol, comme s'il réfléchissait à un problème grave et spécialement important pour le monde. C'était à quatre heures du matin. Il avait l'air beau comme une très belle statue de marbre intelligente. Je lisais un vieux Simenon comme toujours dans les transports en commun, car tout passe sauf Simenon. Une ligne sur deux, j'avais réellement l'impression que c'était le plus beau mec que j'avais j'avais jamais vu. Beau, et respectueux : à ses pieds, il avait étalé son bouson sur le sol et vomissait calmement dessus, avec une certaine classe.

Il faudrait que je reste quinze mois dans cette ville là. Une ville couverte de vomi et de graffiti et de street art, alors que je préfère la poésie des fenêtres anonymes et des murs nus, que je peux habiller à ma façon, selon mes propres désirs et ma propre pornographie que je n'impose à personne.

Ce soir, cette nuit, mon Nantes me manque plus que jamais. Ma ville ennuyeuse où il ne se passe jamais rien. C'est décidé. J'y retourne dans quinze mois, ou demain.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire