25
Décembre 2015. Un peu plus de cinq heures du matin. Je suis comme
presque toujours de service à la réception de L'Hôtel de France à
Berlin.
Comme
souvent, c'est une période calme chez nous. Une vingtaine de chambre
occupées sur cinquante.
Un
couple plus très jeune qui vient de Nuremberg, mais la dame est née
ici. Ils m'ont offer un paquet de biscuits de chez eux, « pour
me montrer à quoi ressemblent de vrais biscuits de Nuremberg.
Madame
Günther, une habituée de la maison née à Berlin mais qui vit
depuis sept ans à Brême, une ville moins cosmopolite où elle
respire mieux. Elle a soixante-dix ans et n'a pas honte de dire
qu'elle a la nostalgie de l'Allemagne du temps du Kaiser. Elle est
veuve. Elle est charmante. Elle a une sœur un peu plus jeune
qu'elle, veuve d'un officier anglais qui vit en Provence. La sœur
est une vieille anarchiste qui passe ses vieux jours dans une maison
« pleine de sauterelles grandes comme la main .»
C'est
la nuit de Noël. J'ai beau être K.O. , j'écoute les histoires de
chacun. Si je voulais, je n'écouterais pas. Mais je veux bien. Je
suis disposé. Ce soir, je fais mon métier.
Le
couple de Nuremberg a passé le réveillon chez la mère de la dame,
qui habite dans un foyer pour vieilles personnes qui n'est pas non
plus tout à fait une maison de retraite. Dans la nuit les pompiers
sont venus à cause de la dame du dessous dont la télévision avait
implosé. Ils étaient néanmoins ravis de leur soirée. Je les
connais. Je sais qu'après leur petit déjeuner ils demanderont deux
coupes de Crémant.
Le
jeune homme de la 211 vient du Koweit. Beau comme Omar Sharif. Il
s'excuse d'avoir beaucoup bu. Il m'explique que sa femme est décédée
il y a six mois. Je le laisse pleurer dans mes bras. Son histoire est
peut-être vraie.
Je
les ai tous écoutés. Sans me forcer. Tout en pensant qu'au fond de
moi j'avais envie d'être dans mon pays. J'avais envie envie de
manger une bûche de Noël parfumée au Grand Marnier, avec des
chanpignons et des petits nains sadiques en décoration. Car j'ai
connu une époque où on décorait les bûches avec des nains et
parfois aussi une scie inquiétante.
Je
les ai tous écoutés. Je les ai laissé aller dormir. Ensuite, je me
suis passé mon moreceau préféré..... car je pense souvent que les
vies que nous vivons devraient être comme dans les films de Jacques
Demy.