Il avait été informé en
fin d’après-midi, par téléphone. Deux heures plus tard, il remarquait sans
s’étonner qu’une raideur accompagnée d’un rien de crispation s’installait
quinze centimètres au-dessus du poignet, tout en irradiant peu à peu l’arrière
du membre entier du haut de l’épaule jusqu’à l’extrémité du petit doigt. Sans
être douloureuse, la sensation était ennuyeuse à cause de la rigidité qui
rendait les mouvements du bras peu sûrs et maladroits. La plupart du temps,
quarante-huit heures d’ibuprofène réparties en trois prises quotidiennes de
six-cents milligrammes suffisaient à faire disparaitre les symptômes.
Les cachets étaient rangés
dans le tiroir gauche de la table bleue, et il avait sans doute tort de vouloir
ouvrir celui de droite. Il savait exactement ce qu’il cherchait et il avait
trouvé les yeux fermés, ses doigts reconnaissant d’abord le cadre cartonné, légèrement
rugueux, puis le touché lisse du papier Ilford. Il avait besoin de se rassurer,
de se prouver qu’il avait survécu à tout et que sa solitude n’était pas une invention
récente.
La
photo datait du mariage de son frère, un événement qu’on n’avait pas pu
préparer autrement qu’en catastrophe. Il daignait se souvenir que cela se
passait en province, juste avant l’époque reculée de l’abolition de la peine de mort,
qu’il avait douze ans, que son frère allait toujours vite en besogne, qu’un
dimanche suivant le concours de l’Eurovision on lui avait présenté sa future belle-sœur, une engeance d’un blond électrique qui s’instruisait dans les
colonnes des journaux à scandale. Comme on venait d’acheter la télévision en
couleur, il en avait mal dormi pendant deux nuits.
C’était
ce qu’il avait connu de pire à ce stade de sa vie, car il était bien placé pour
savoir que ces choses-là pouvaient être évitées. Il n’était pas sot. Au
collège, ses cours de sciences naturelles comprenaient des rudiments forts bien faits
d’éducation sexuelle. Entre les lamelles du microscope, loin de sembler
indomptables, les spermatozoïdes de taureau qu’on lui laissait le loisir
d’observer lui faisaient l’effet d’entités ridicules, de virgules
ultraviolettes qu’on pouvait écraser d’un simple doigt. On lui susurrait que
les hormones avaient le pouvoir pernicieux de bloquer l’ovulation. Son frère,
de dix ans son aîné, n’avait pu bénéficier des mêmes avancées pédagogiques et
s’était laissé piéger. Par ignorance et par bêtise.
La
photo de groupe, historique, était prise devant l’église d’un gros bourg qui
n’était même pas joli. Outre qu’on y reconnaissait toutes les tantes laquées,
on était obligé de remarquer qu’il ne souriait pas, car faute de temps on lui
avait imposé l’abomination d’un costume d’adolescent mal taillé, mal choisi,
d’une cravate à losanges verts, abomination qui venait s’ajouter à l’affront
qu’on lui faisait de devoir supporter à son bras une cavalière pour la journée entière. Elle avait les pieds plus
grands que lui et louchait.
Il
était au premier rang, à l’extrémité gauche de l’image, séparée de la créature
par un cordon sanitaire de cinquante bons centimètres. À au moins deux
reprises, le photographe lui avait demandé de se rapprocher du groupe, pour
qu’il ne soit pas en dehors du cadre. Deux rangs au-dessus de lui la mariée souriait. Son règne débutait. Elle connaissait déjà les dates de
chaque anniversaire, de chaque fête, et avait devant elle trois décennies
complètes pour inonder sa belle-famille de cadeaux inutiles et voyants, d’atrocités
plus vulgaires les unes que les autres.
Extra ! Voilà qui égaie ma nuit blanche.
RépondreSupprimerDors Thérèse, je l'exige.
RépondreSupprimerCe qui est bien avec ton blog, c'est qu'on n'a pas l'impression de passer des nuits blanches, vu que l'heure indiquée n'est pas tardive.En tout cas ce n'est pas l'heure de Berlin, sauf si ça a changé de latitude sans qu'on nous en informe... De Tombouctou maybe, ou de la Corée du Sud, voire du Nord, si c'est celle que tu préfères...
SupprimerThérèse, je ne vois plus clair. Mes yeux se brouillent. Mon commentaire de 16 heures 27 est en fait une réponse au tien - celui de 15 heures 19, heure de chez moi - ou que sais-je.
SupprimerInconsciemment, il est probable que j’aie coché l’option « Calendrier Martien ».
RépondreSupprimerÀ propos, je projette un post débile qui s’intitulera sans doute « Désintégration Mystérieuse ». C’est inspiré d’un événement vaguement curieux survenu chez moi quand j’avais douze ans. Dis-moi, pour me rassurer, que tu te sens déjà parcourue d’un frisson de terreur rien qu’en lisant le titre.
Sans vouloir te flatter, je pense que tu devrais reprendre toutes les chroniques de ton blog, modifier deux ou trois choses pour en faire un tout. Ou, si tu préfères, un livre. Je te le dis gravement, en toute sincérité.
Tu veux bien prendre le temps d’y réfléchir, Thérèse ?
Bon, je ne lis ce message qu'aujourd'hui, parce que je suis toujours trop occupée hélas.. 1) Oui, j'ai envie de lire au plus vite "Désintégration Mystérieuse", dépêche-toi. Cela va me plaire, étant moi-même désintégrée au possible, surtout la cervelle. Et puis j'adore les trucs glauques, les films d'horreur, et les évènements surprenants en général. 2) Oui, je vais essayer de faire un livre. Tu vas être étonné, mais depuis ton message sur F.B. me le disant aussi, j'ai commencé à imprimer et remanier quelques textes. Vais essayer de faire un livre de nouvelles. Ai envie de l'appeler "Des nouvelles...de Jean-Maurice-Le-Chat..." (Jean-Maurice était son 1er prénom, car je trouvais qu'il ressemblait à un ami prénommé ainsi. Mes nièces et neveux ont trouvé trop snob: Maurice seul lui est resté. Ca me fait penser que je n'ai pas encore raconté cette "passionnante" anecdote sur mon blog. Que penses-tu du titre prévu ? Trop bête ? 2) Il est hors de question que je finalise un livre avant que le tien ne soit édité... Donc au boulot tout le monde ! 3) Sans aucun rapport, je viens de revoir sur Arte cet aprèm en N et B "Bob le flambeur" de Melville, vu que la mamie chez qui je devais aller est hospitalisée. Ma chef a tél pendant ce temps pour un autre remplacement, j'ai dit que j'avais TRES mal à la gorge, vu qu'elle n'avait pas besoin de savoir que je préférais finir de voir le film, puis aller promener Marcella-La-Douce à la campagne, déjà que je n'avais mangé qu'à 14h, à cause de leurs inventions de remplacements à la c... Après tout, mes collègues, plus jeunes, n'ont qu'à pas être malades, non mais...Bises et à plus.
Supprimer